Il n’y a pas qu’à Laeken qu’il y a eu une passation de pouvoir. Les plus hautes sphères des entreprises n’ont pas non plus été épargnées par des changements d’envergure. Quelques grands noms ont quitté leurs fonctions cette année, ou ont dû les quitter : Didier Bellens, Pierre-Olivier Beckers, Aimé Van Hecke, Sophie Dutordoir, Jannie Haek, Marc Descheemaecker, Duco Sickinghe et encore Johnny Thys. Quatre CEO de notre top dix ne tiennent plus les rênes de leur entreprise.

C’est d’ailleurs un de ces CEO en partance qui tient la vedette de ce classement : pour la deuxième année consécutive, Didier Bellens a été l’homme le plus présent médiatiquement (il était deuxième en 2011, derrière Jean-Luc Dehaene).

CEO ranking FINN Auxipress Didier Bellens

« 2013 fut donc – à nouveau – l’année de Didier Bellens », explique Raf Weverbergh, Managing Partner chez FINN. « Malgré ses tentatives d’inverser la tendance cet été, il semble que les politiques et les médias étaient en quête d’une catharsis. » Il rajoute :

Selon les chiffres et l’analyse de contenu, il s’avère que notre prédiction de l’année dernière s’est vérifiée. Nous écrivions alors que 2013 serait l’année de l’entrepreneur-CEO. Des visages relativement nouveaux comme Xavier Damman (Storify) et Johan Thijs (KBC) ont en effet prouvé que les figures entrepreneuriales, porteuses d’une histoire positive, inspirent aussi les médias.

Didier Bellens : l’année de la chute

Nous savons d’expérience que les CEO sont conscients du lien très étroit qui existe entre leur réputation et celle de leur entreprise – et des conséquences que cela peut avoir sur leur carrière.

CEO médias Didier Bellens 2013 analyse

Selon les travaux de recherche que nous avons menés, il s’est également avéré que les CEO trop souvent présents dans les médias à travers les soft news sont ensuite plus souvent licenciés, voire poursuivis au pénal (N.B. : il s’agit d’une corrélation, pas d’un lien de cause à effet, et ce constat émane d’une étude menée aux États-Unis).

Les soft news sont des articles consacrés à « l’homme qui se cache derrière le CEO ». Ces articles abordent donc leur agenda social (mariages, relations et cercle d’amis) et leurs intérêts privés, comme leurs collections d’art, leur collection de voitures, leur handicap au golf ou leur yacht privé.

Ces conclusions se sont révélées pertinentes lorsque Didier Bellens a été mis à la porte cet automne – surtout quand on sait qu’il avait accordé une interview remarquée, l’été dernier, au journal De Tijd. Un article consacré à « l’homme qui se cache derrière Bellens ». Depuis son voilier.

L’année dernière, Bellens était encore parvenu à calmer la tempête qui bousculait sa réputation en accordant une grande interview. Pour les grands dirigeants, ce genre d’interview donne souvent le signal que le débat est clos pour eux et qu’ils veulent tourner la page. Ce signal est souvent (étonnamment) respecté par les médias, mais pas cette fois-ci.

Peut-être Bellens a-t-il choisi un reportage soft news pour pouvoir balayer plus facilement les questions gênantes ? Qui sait, peut-être a-t-il même pu convenir de certaines limites avec le journaliste, en échange de cette visite exclusive sur son bateau ? Mais ce fut donc en vain.

Notons d’ailleurs que c’est sur une déclaration totalement sortie de son contexte que Bellens a trébuché. Un propos relevé lors d’une réunion (un club d’affaires à Uccle) qui respecte traditionnellement les règles du fireside chat. Dans le cadre des discussions informelles d’un fireside chat, les journalistes sont admis au sein de cercles fermés où les initiés parlent sans détour. À une condition cependant : que le journaliste ne cite pas l’orateur.

Le non-respect de cette règle à l’égard de Bellens peut indiquer que tout le monde – journalistes, politiques et monde des entreprises – percevait une énorme pression pour atteindre une catharsis autour de la personne de Bellens.

Pierre-Olivier Beckers

Dans la couverture du cas Beckers, nous voyons un CEO belge très « typique » : quelqu’un qui communique surtout de manière réactive, sans perdre le cap. Cela se traduit aussi, dans le word cloud, avec des mots comme « groupe », « trimestre », « croissance » et « euros ».

Bien que les CEO représentent d’importants porte-parole de la culture d’entreprise, des corporate affairs, de l’innovation et des tendances, le CEO belge y reste réticent. Voici un diagramme typique pour un CEO belge (Note : il ne concerne pas Beckers). Quelques sujets demeurent clairement sous-exploités, comme l’innovation, les valeurs et la RSE: 

CEO médias FINN Auxipress Pierre-Olivier Beckers

Ce style de communication professionnel peut surprendre dans un certain sens, car Beckers réunit tous les ingrédients pour raconter une belle histoire sur l’entreprise Delhaize, qui a été créée par son arrière-grand-père.

Nous sommes impatients de découvrir le style de communication qu’adoptera son successeur Frans Muller. Les premiers communiqués annonçant son arrivée le présentaient comme un «spécialiste du commerce de gros » en raison de son passé chez Cash&Carry. Il s’agira donc pour lui de s’affranchir de cette image en termes de résultats et de communication.

Fernand Huts et Jan De Nul : angry middle aged men

Il ressort également de la littérature que les CEO peuvent peser lourdement dans la balance quand ils abordent des sujets de public affairs. Nous en voyons la preuve vivante dans les graphiques de deux poids lourds économiques : Fernand Huts et Jan Pieter De Nul.

Nous écrivions :

Les CEO doivent se rendre compte qu’ils pèsent lourdement dans la balance pour les sujets de politique du personnel, de responsabilité sociale des entreprises, et tout ce qui concerne les public affairs et la stratégie.

FINN

Tant Huts que De Nul ont poussé des coups de gueule cette année, avec quelques remous à la clé. Le discours de Jan Pieter De Nul (trois feuilles A4) a été lu plus de 300 000 fois sur Scribd.

Le discours, prononcé au début de la semaine, a dominé l’information jusqu’à la fin de la semaine, lorsque quelques hommes et femmes politiques – Monica De Coninck (sp.a), Bart De Wever (N-VA) et Gwendolyn Rutten (OVLD) – sont venus expliquer dans De Tijd ce qu’ils pensaient du cri du cœur de De Nul.

Le succès du discours de De Nul est plus facile à expliquer, selon nous, que celui de Fernand Huts. Bien que De Nul n’ait rien communiqué de sensationnel, il s’est clairement aventuré sur le terrain de l’intérêt général et donc de la politique, en prenant position sur les dépenses du gouvernement, sur le vieillissement de la population et sur la compétitivité.

Huts, par contre, a lancé une offensive RP sur son intérêt le plus individuel : il s’est insurgé contre le statut de docker accordé à certains membres de son personnel.

Fernand Huts

Le fait qu’il ait si bien réussi à engager un débat sur le sujet dans les médias – avec des articles soft news dans HUMO (invité à la chasse avec Huts) et De Standaard Weekblad – en dit long sur le pouvoir des fondateurs/top managers.

Il n’est pas inconcevable de penser que le coup de sang de De Nul – d’autant plus à la veille de la mère de toutes les élections – trouvera une caisse de résonance. En ce sens, la sortie de De Nul a certainement porté ses fruits. Beaucoup de nos collègues se demandaient cependant : l’aspect réputationnel a-t-il beaucoup contribué au groupe De Nul ? Une question très intéressante, qui donne matière à réflexion pour de plus amples recherches.

Xavier Damman : poster boy

Tandis que, côté néerlandophone, Davy Kestens est le symbole d’une jeune génération d’entrepreneurs qui tente sa chance en Californie, c’est Xavier Damman qui inspire côté francophone.

Xavier Damman CEO médias 2013

L’année dernière, nous écrivions déjà que les entrepreneurs avaient le vent en poupe dans les médias belges. Il n’est donc pas étonnant que Damman confirme sa bonne performance de l’année dernière, alors qu’il a vendu plus tôt dans l’année son entreprise Storify à LiveFyre pour un montant indéterminé.

La technologie et l’entrepreneuriat resteront aussi des hot topics dans la presse en 2014 – et sans doute tant que durera la fièvre technologique. La question est de savoir quel rôle Xavier Damman va revendiquer pour lui-même. Conservera-t-il, dans les médias, sa position de chef de file d’un mouvement de jeunes entrepreneurs, ou sera-t-il relégué dans l’ombre par de nouveaux entrepreneurs plus jeunes ?

Il est aussi très étonnant d’observer dans les word clouds l’obsession que nourrit la presse pour les montants amassés par les jeunes entreprises : le mot « dollars » est le plus récurrent, suivi de près par « millions ».

Johan Thijs : the great communicator

Johan Thijs aussi, le nouveau CEO de KBC depuis 2012, a le vent en poupe dans les médias. L’année dernière, nous écrivions qu’il y aurait beaucoup de place en 2013 pour les CEO qui se sont profilés comme des « entrepreneurs ». Voyez ici la déclaration d’un journal sur Johan Thijs :

À présent que KBC s’est extrait d’un profond fossé, le CEO Johan Thijs veut en finir avec le cliché du banquier rapace. Avec l’enthousiaste Limbourgeois, il y a maintenant un ‘entrepreneur’ à la tête du bancassureur.

Thijs a passé pratiquement toute sa carrière chez KBC et ne peut donc pas vraiment être qualifié d’entrepreneur. Mais la presse lui attribue ce qualificatif en guise de compliment.

Johan Thijs KBC médias CEO 2013

Comme communicateur aussi, il voit grand avec KBC. L’entreprise a remboursé l’aide publique qu’elle avait reçue de l’État fédéral, tournant ainsi la page sombre de la crise financière. KBC a saisi cette occasion de manière très assertive pour communiquer. Voyez comment, dans l’extrait suivant, Thijs établit sans faute un lien entre le remboursement de l’aide publique par KBC et sa vision optimiste de la banque et du personnel :

Le personnel est à nouveau fier de travailler pour KBC. Même des non-clients sont venus nous féliciter et ont voulu ouvrir un compte chez nous. Il faut sans doute y voir le climat général qui entoure le secteur bancaire. Que nous soyons les premiers à pouvoir rembourser notre aide publique a déchaîné un flot d’émotions. Nous avons traversé des années de turbulences, mais le revirement est en marche

D’ailleurs, l’organisation KBC jouit d’une perception remarquablement positive dans la presse, même quand elle restructure. Lorsque Belfius et BNP Paribas Fortis ont annoncé leur intention de fermer des agences et de réduire l’emploi (sans licenciements secs), la presse leur a réservé une interprétation essentiellement négative : les questions liées à la perte d’emplois ont immédiatement fusé. Chez KBC, par contre, un journal a titré : « LA RECONFIGURATION DE KBC COUTE A PEINE QUELQUES EMPLOIS ».

Il semble que Johan Thijs et KBC flottent sur leur petit nuage. Nous sommes curieux de savoir s’ils pourront maintenir cet élan positif.

Faits marquants

Autres faits marquants de 2013 :

1. La télévision et la radio évoquent l’économie de manière très institutionnelle. Il suffit de regarder le top 10 qui est dominé par les chemins de fer, la poste et le port, complété par les leaders du marché des télécoms (Belgacom) et des banques (BNP Paribas Fortis) et par Delhaize. La télévision et la radio accordent peu de place aux one hit wonders.

2. Twitter montre à nouveau une tout autre image : là, c’est Dries Buytaert d’Acquia qui tient la vedette – derrière Bellens, certes. Buytaert est incontestablement aidé par la levée de fonds d’environ 30 millions de dollars bouclée plus tôt dans l’année, et par sa grande notoriété dans les milieux de la technologie. La majorité des tweets le concernant ne provient sans doute pas de Belgique. Remarquez aussi les belles performances d’Inge Geerdens (CVWarehouse) et de Saskia Van Uffelen (Bull, Belgian Digital Champion). Ce n’est pas tout à fait une surprise, vu le profil du Twitto moyen.

CEO twitter médias 2013 FINN PR

Notre boule de cristal pour 2014

Quand on regarde le top 5, force est de constater que la voie est royalement ouverte pour obtenir, l’année prochaine, un classement totalement remanié. Le même constat vaut aussi du côté francophone, où Roland Duchâtelet a annoncé son intention de vendre son club de football.

La question est : qui y figurera ? Comme nous l’avons déjà écrit, les médias choisissent des « gagnants » et des « perdants » évidents (lien blog CEO). Diverses données peuvent nous aider à oser un pari raisonné :

Selon nos recherches, les médias écrivent surtout sur les CEO d’entreprises qui détiennent un flottant (free float) important en bourse (de préférence la bourse bruxelloise), qui emploient beaucoup de travailleurs et qui fournissent des produits ou services utilisés par de nombreux consommateurs. Il n’est donc pas surprenant que les banques et les télécoms soient très populaires.

À cet égard, on peut dire que les choses se présentent bien pour le nouveau patron de Belgacom et bpost. John Porter, le nouveau CEO de Telenet, fraîchement parachuté, aura pour sa part un peu plus de mal à obtenir une grande visibilité dans les médias.

Nous savons aussi que les nouveaux CEO aiment attendre six à douze mois avant de faire leur entrée dans les médias – jusqu’à ce qu’ils connaissent l’entreprise et opèrent leurs premiers remaniements stratégiques.

Quand ces CEO donneront leurs premières interviews, elles ne seront pas tant consacrées à leurs réalisations. Le ton sera en grande partie donné par ce que leur réseau (ex-collègues, ex-travailleurs, syndicats et autres capitaines d’industrie) aura à raconter à leur sujet.

Dans cette optique, les gagnants de 2014 ne seront pas nécessairement les CEO qui soumettront les meilleurs résultats, mais ceux qui possèderont le plus d’amis utiles.

Il s’agira donc pour les nouveaux CEO de mettre le plus rapidement possible leur communication interne au point et de convaincre leurs travailleurs et syndicats qu’ils sont la bonne personne au bon endroit.

Méthodologie

Auxipress a dressé une liste des parutions dans les médias (presse écrite, radio et TV et, pour la première fois également, mentions sur Twitter) des principales entreprises et principaux chefs d’entreprise belges entre le 30/11/2012 et le 01/12/2013.

  • Les paramètres utilisés sont les suivants :
  • Articles : nombre d’articles dans lesquels le chef d’entreprise est cité
  • Interviews en radio et à la télévision
  • Mentions du nom du CEO sur Twitter. Attention : les replies n’ont pas été pris en considération. Par exemple – @davykestens n’a pas été comptabilisé, mais bien Davy Kestens. Cela peut faire une différence pour certains Twittos très actifs. La majorité des CEO ne sont cependant pas présents personnellement sur Twitter.

Justification

Comme n’importe quelle liste, celle-ci peut être accueillie de manière critique. C’est pourquoi nous tenons à expliquer les raisons de son établissement. Premièrement, nous savons d’expérience que les gens aiment recevoir des informations sous la forme de listes.

Deuxièmement, nous voulons mieux cerner la manière dont les médias abordent les entreprises et leurs dirigeants. La relation entre l’image des entreprises et leur personnel supérieur est un phénomène quelque peu méconnu et trouble, que nous voudrions mieux comprendre à travers ce classement.

Tant Auxipress que FINN sont des entreprises qui attachent énormément d’importance à l’objectivité et à la connaissance. La gestion des médias, c’est notre métier. Il nous est donc essentiel de pouvoir compter sur des données objectives concernant l’information réservée aux entreprises et aux chefs d’entreprise dans les médias. Nous sommes convaincus que cet exercice, mené à coups de chiffres, peut nous livrer de précieuses informations et démontrer plus rapidement de nouvelles tendances.

Nous ne sommes pas les seuls à nourrir cette passion ; en témoigne le succès de nos travaux de recherche sur le sujet.

Enfin, nous diffusons cette liste parce que le partage de connaissances fait aussi partie de nos valeurs. Aux entreprises, nous voulons livrer le message suivant : soyez plus transparentes – plus perméables, en acceptant davantage les influences de l’extérieur, mais aussi en partageant davantage vos propres connaissances. Et nous voulons inspirer cet exemple.

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