Tim Smits

Comment gagner des élections ? Alors que le monde politique belge s’apprête à mener campagne (si ce n’est pas déjà fait), Tim Smits, professeur à la KU Leuven et spécialiste de la communication marketing, des sciences sociales ainsi que de la persuasion, a récemment donné un cours sur les campagnes politiques.

Tim Smits a notamment parlé de ce que la littérature scientifique avait à offrir au champ politique. Et il s’agit en l’occurrence des trois leçons et deux réflexions suivantes :

Leçon 1 : Qui sait se personnaliser, tient le bon bout : cherchez des images, des mots et des symboles qui renforcent votre marque

Les moqueries et critiques à l’égard de Theo Francken ou bien les memes avec Maggie De Block en avant : ceux-ci peuvent être certes viraux mais pour ces responsables politiques, c’est souvent bon signe.

Les memes et les moqueries montrent que vous êtes plus facilement imitable et donc reconnaissable, précise Tim Smits. Pensez à certaines marques fortes comme Coca-Cola et Ikea : elles sont super reconnaissables dans le monde entier et se prêtent donc idéalement au sarcasme et à la satire.

Mais alors, comment faites-vous pour développer une marque aussi forte ? Byron Sharp, professeur en communication marketing à « University of South Australia », nous donne deux façons :

  1. En intégrant des éléments de marque reconnaissables ou distinctifs (en vous distinguant des autres avec des lunettes voyantes ou un crâne rasé, comme Charles Michel ou Theo Francken)
  2. Par une présence mentale et physique constante (en faisant régulièrement intrusion chez vos électeurs potentiels)

Nous avons déjà montré dans notre blog sur la campagne de Merkel qu’un symbole judicieusement choisi peut élever une campagne à un niveau supérieur. La N-VA l’a repris avec succès lors des élections suivantes avec son signe « V ».

Les memes et les moqueries montrent que vous êtes plus facilement imitable et donc reconnaissable.

Mais Tim Smits a également retrouvé des éléments dans la campagne la plus récente du ministre-président néerlandais Mark Rutte :

Rutte avait une image un peu poussiéreuse, mais dans la campagne – où il devait affronter Geert Wilders – on le voyait soudainement apparaître partout avec les manches retroussées. Cela vous donnait en quelque sorte l’impression qu’il voulait dire : « Je vais m’occuper de tout cela et vite fait ». Il a aussi rencontré énormément de gens : pas vraiment de façon traditionnelle, en faisant la tournée des cafés et des bars mais aussi en ligne, en participant à des sessions avec des vloggers connus, et en passant même à Libelle TV. Chez certains politiciens comme Theo Francken ou Ben Weyts, on peut également soupçonner une stratégie consciente de présence maximale.

Mais cette aptitude à se rendre reconnaissable peut également se construire avec des mots ou des expressions. La manière dont Donald Trump, pendant son parcours lors de la campagne présidentielle, n’a cessé d’insister sur la peur qui habitait les Américains et cela lui a permis, selon certains, de gagner les élections.

Selon Tim Smits :

Si vous répétez pendant suffisamment longtemps que les gens ont peur, ils finissent par avoir vraiment peur. Et lorsque vous avancez ensuite la proposition de construire un mur, presque tout le monde sera d’accord. L’erreur capitale qu’a commise Hillary Clinton, c’est d’entrer dans le jeu de Trump, en s’opposant à sa proposition de construire un mur. Mais en faisant ça, elle n’a fait que renforcer le cadrage que Trump avait si brillamment développé.

Pour celui ou celle qui possède un symbole ou une notion forte auquel se raccrocher, il est important de créer le plus grand nombre d’opportunités possible afin de faire intrusion au sein de son public électoral. Recherchez alors des messages dérivés pour des groupes cibles spécifiques et diffusez-les à foison.

Devenez un champion du ‘newsjacking’ : surfez sur les opportunités qui apparaissent dans les médias ou sur les réseaux sociaux.

Comme le disait Lutz Meyer il y a quelques années déjà :

Une campagne est une lutte dans les médias sociaux et les médias sensibilisés.

Aucun budget de campagne ne peut rivaliser avec la force des médias de masse et du monde viral.

Leçon 2 : L’impact des outils tels que Cambridge Analytica est fortement exagéré

Quiconque se fie aux informations relatives aux dernières élections présidentielles américaines et au rôle qu’auraient joué des outils tels que Cambridge Analytica, pourrait en conclure que, de nos jours, on n’arrive plus à rien sans une armée d’analystes.

Cela semble toutefois exagéré si l’on en croit Jessica Baldwin-Philippi. Pour son article « The myths of data-driven campaigning », elle a comparé la campagne de Trump en 2016 avec celle de Clinton et d’autres campagnes présidentielles antérieures. Sa conclusion : en réalité, les équipes de campagne ont agi de façon bien moins innovante et précise avec les données que ce que voudrait nous faire croire la presse.

Tout d’abord, le ciblage – l’adaptation des messages à certains groupes démographiques – n’est pas une nouveauté dans les élections : cela se pratiquait déjà lors des élections présidentielles qui ont eu lieu il y a des dizaines d’années. Qui plus est, les données sur le mode de vie, comme le comportement d’achat que vous pouvez recueillir à l’aide des médias sociaux par exemple, sont loin d’être aussi performantes pour prédire un comportement électoral. 

Oubliez les outils de recherche coûteux, grâce aux statistiques de Google Analytics, Twitter et Facebook, vous avez déjà parcouru un beau chemin.

Ce qui est en revanche différent dans la conduite d’une campagne actuelle, c’est que nous pouvons aujourd’hui réaliser bien plus de tests que par le passé, précise encore Jessica Baldwin-Philippi. Mais il semble que, là aussi, l’équipe de Trump ait parfois bâclé les choses. Elle a par exemple très mal exploité les campagnes d’e-mailing : alors que la course à la présidence de Hillary Clinton a été soutenue par 658 campagnes d’e-mailing, il n’y en a eu que 21 dans le camp de Trump. Elle a également travaillé sans ‘opt-ins’, a envoyé des e-mails depuis différents expéditeurs, nouvellement créés, ce qui explique que 60% des mails ont abouti dans les spams.

Conclusion : vous n’avez pas besoin d’analystes de données coûteux ni de mystérieux outils miracles pour gagner des élections. Quiconque utilise intelligemment les informations gratuites de Google Analytics, de Twitter et de Facebook Metrics, obtiendra déjà de précieuses indications.

Tim Smits explique :

Vous pouvez considérer les données analytiques comme une alternative gratuite aux coûteuses études de marché. Voyez par exemple l’utilisation du mot ‘fake’ dans la campagne de Trump. Après coup, nous avons tendance à y voir une stratégie délibérée, mais quelqu’un de son équipe a-t-il sans doute remarqué à un moment donné qu’un post sur Twitter avec une ‘fake news’ était plus performant qu’un ‘crooked’. Ils ont donc commencé à utiliser de plus en plus le terme ‘fake’. Vous n’avez pas besoin de Cambridge Analytica pour cela.

Leçon 3 : Les leaders de marché et les challengers demandent une approche différente

En fonction de votre position de départ, vous pourriez devoir opter pour une stratégie différente.

Vous commencez la campagne électorale en tant que leader de marché ? Dans ce cas, soulignez ce qui fait de vous le meilleur.

Si en revanche vous êtes un challenger, vous devrez alors souligner ce qui vous rend différent.

On a clairement pu voir ces différentes stratégies à l’œuvre dans la campagne de la dernière élection rectorale à la KU Leuven, explique Tim Smits. Le prétendant, Luc Sels, était entré en lice avec le message ‘Nous avons une vision totalement différente’, que le candidat en exercice, Rik Torfs s’est employé à minimiser : ‘Ce que disent les autres n’est pas si différent’.

Enfin, Tim Smits nous livre encore quelques réflexions :

Réflexion 1 : Les forces populistes ont-elles la tâche plus facile ?

Être distinctif’ – selon Byron Sharp, une des conditions centrales pour créer une marque forte – est sans doute plus simple pour celui qui tire la carte populiste. Vous faites plus rapidement le buzz sur Twitter avec #nettoyage qu’avec #union.

Cela veut-il dire que nous sommes condamnés à finir avec des politiciens populistes ? Tim Smits pense que non :

Voyez une victoire telle que celle de Mark Rutte aux Pays-Bas ; il a battu le populiste Geert Wilders. Mais il est exact qu’en adoptant des visions nuancées, vous commencez probablement avec un handicap. Raison de plus pour faire les choses correctement. Avec des approches telles que celles de Sharp, de Kahneman et de Lakoff, vous disposez d’armes puissantes qui, si elles sont utilisées à des fins erronées, peuvent être très néfastes pour la démocratie.

Réflexion 2 : Ne sous-estimez pas la force d’une vision stratégique

Revenant sur sa campagne rectorale perdue, Rik Torfs a récemment laissé filtrer le commentaire suivant :

 J’ai sous-estimé le professionnalisme de la partie adverse. Aujourd’hui les élections ne sont plus gagnées uniquement par les idées, mais aussi par la bonne stratégie et la bonne tactique de communication.

C’est typique de la méfiance avec laquelle, en Belgique, on considère toujours le professionnalisme comme un soutien de qualité lors d’élections dans les cercles politiques. Comme s’il planait encore un doute autour du recours à une stratégie de communication pour l’emporter. En effet, pour triompher, ne faut-il pas le faire par ses propres moyens, en s’appuyant sur une idéologie et sur les idées adéquates ?

Rik Torfs a entre-temps retenu la leçon. De nos jours, vous ne gagnez plus d’élections seulement avec des idées, mais aussi avec la bonne stratégie de communication et avec la tactique appropriée pour faire passer ces idées au mieux.

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