Dès qu’une marque est confrontée à une crise, il y a toujours quelqu’un pour affirmer que « il n’y a pas de mauvaise publicité ». (Et dans certains cas, cette personne est, malheureusement, le ou la CEO de l’entreprise en question.)
C’est évidemment inexact. Dans notre pratique, nous avons vu des exemples où une couverture négative a eu des conséquences bien réelles : effondrement des ventes, restructurations, ventes forcées d’activités ou fin brutale de carrières prometteuses.
Mais il arrive aussi que ce type de couverture joue en faveur d’une marque ou d’une entreprise. Les ventes s’envolent, les parties prenantes se mobilisent, et l’organisation ressort renforcée d’un moment critique.
Certaines mauvaises publicités peuvent détruire une marque — d’autres la renforcent.
Comment faire la différence entre une publicité réellement néfaste, et une publicité négative qui finit par produire un effet positif ? C’est une question que nous nous posions depuis un moment – jusqu’à ce que nous tombions sur un post récent de Mark Ritson. L’expert marketing y propose un cadre aussi simple qu’efficace pour évaluer ce type de situation. En voici les grandes lignes.
Trois critères pour évaluer une mauvaise publicité : Fame, Blame, Same
Mark Ritson suggère de prendre en compte trois dimensions :
- Fame – Quel est le degré de notoriété de la marque ?
Si la marque est encore peu connue, une poussée soudaine de visibilité – même négative – peut améliorer considérablement sa notoriété. Or, pour beaucoup de marques, c’est précisément le principal défi. Dans certains cas, la couverture médiatique efface les dommages potentiels. - Blame – Qui est à l’origine de la controverse ?
Ritson précise : « Si la crise découle directement d’une action explicite de l’entreprise ou de ses collaborateurs, les conséquences peuvent être bien plus graves que si la critique vient d’un acteur extérieur. » Autrement dit : s’agit-il d’une erreur interne ou d’une attaque externe ? Dans le deuxième cas, l’impact est souvent plus limité. - Same – Le sujet de la controverse remet-il en cause l’identité même de la marque ?
Si la crise vient contredire les valeurs ou les engagements affichés par la marque, les dégâts seront plus profonds. Il est donc essentiel d’identifier si le problème touche ou non au positionnement de fond.
Une mauvaise publicité peut s’avérer bénéfique…
Ritson cite le cas d’une boulangerie à l’est de Londres, récemment critiquée pour sa participation supposée à la « gentrification » du quartier. À première vue, cette médiatisation pouvait paraître négative. Mais à plus long terme, elle pourrait en réalité élargir la clientèle de l’enseigne.
En effet, dans un quotidien britannique, la boulangerie a reçu le soutien public du chef Jamie Oliver, qui a salué non seulement la qualité des produits, mais aussi l’engagement social de l’entreprise via un programme de formation.
Un aspect positif qui, sans cette controverse, serait sans doute passé inaperçu.
La mauvaise publicité n’est pas toujours une menace — le cadre de Ritson montre quand il faut s’inquiéter, et quand il vaut mieux en tirer parti.
Un autre exemple de mauvaise publicité qui tourne à l’avantage de la marque nous vient de l’actualité récente : l’application de messagerie Signal a connu un pic de téléchargements après qu’un journaliste a été ajouté par erreur à une conversation regroupant des hauts responsables américains de la sécurité et de la défense. Selon le modèle de Ritson, cette publicité involontaire a accru sa notoriété (fame) — qui demeure toutefois inférieure d’un ordre de grandeur à celle de WhatsApp – sans que l’entreprise en porte la responsabilité (blame), ni que son image de marque centrée sur la confidentialité soit remise en question (same).
Dans ces deux cas, l’attention médiatique négative n’était pas due à une faute de l’entreprise, ne portait pas atteinte à son intégrité, et pouvait être retournée à son avantage.
…mais elle peut aussi nuire gravement à la réputation
Le tableau est bien différent lorsqu’une crise provient de l’intérieur. Des employés actuels ou anciens peuvent causer des dégâts considérables par leurs déclarations sur les produits, les pratiques internes ou la culture d’entreprise.
Ce fut notamment le cas avec un ancien cadre dirigeant de Facebook, dont le livre à paraître promettait de dévoiler les coulisses du groupe Meta. L’entreprise a tenté d’en bloquer la publication par voie judiciaire, invoquant un risque de « préjudice immédiat et irréparable ».
Ou encore, pensez aux dégâts que les CEO peuvent causer à leur propre entreprise. Peu d’exemples sont aussi éloquents que celui de Gerald Ratner, CEO du groupe Ratners, qui a infligé d’énormes dommages à sa propre société au début des années 1990.
Après avoir fait de Ratners la plus grande chaîne de bijouterie au monde, il a réduit son entreprise à néant en quelques instants, avec quelques mots mal choisis sur la qualité et le bon goût de ses produits (qu’il a qualifiés de « camelote ») :
Nous vendons aussi des carafes à sherry en verre taillé, avec six verres et un plateau en métal argenté, le tout pour £4,95. Les gens nous demandent : “Comment est-ce possible à ce prix-là ?” Je leur réponds : “Parce que c’est de la camelote. « [7]
La valeur du groupe a chuté de près de 500 millions de livres sterling, frôlant la faillite. Une telle remarque, si elle était venue d’un client ou d’un concurrent, aurait eu un impact bien moindre. Dans la bouche du CEO, elle a été fatale.[8]
Qu’un concurrent ou même des clients aient tenu les mêmes propos en public n’aurait jamais eu un tel effet. Avec cette seule déclaration, il a détruit son entreprise.
Mark Ritson évoque aussi le cas d’Elon Musk, dont les prises de position controversées sont de moins en moins compatibles avec les valeurs initiales de Tesla. Selon lui, « Musk agit désormais en contradiction avec la posture environnementale et progressiste qu’il avait autrefois adoptée – ce qui effraie une partie importante de ses clients existants et potentiels ». En Europe, les ventes de Tesla sont d’ailleurs en net recul.
Fact-checking : quelle mauvaise publicité peut encore profiter à une marque – et laquelle lui nuit réellement ?
Conclusion de ce fact-check : non, il n’est pas vrai que toute publicité est bonne à prendre.
Certaines formes de publicité négative peuvent véritablement nuire à une organisation – voire mettre un terme à la carrière de ses dirigeants.
D’autres formes, en revanche, peuvent offrir une opportunité de croissance ou de repositionnement. Le modèle proposé par Ritson (Fame, Blame, Same) permet de mieux comprendre dans quelle situation vous vous trouvez – et d’adapter votre réponse en conséquence.